28 février 2015 - Aéroport de Dallas
Attente, ou plutôt mini-détention, dans les locaux de la douane, à cause d’un problème avec le visa de Julien, et d’un suspect recherché ayant un nom « semblable » au sien (mais pas au mien curieusement). Les autres étrangers, autour de nous, arrivaient et repartaient, chacun voyant son cas traité en un temps bref. Nous sommes arrivés quelques minutes après le départ de notre correspondance, avant d’apprendre que tous les hôtels étaient pleins à cause de la neige. Nous devrions dormir dans ce terminal C que nous avions si vite appris à haïr.
La normalité du dîner à TGI Friday’s, par
effet de contraste, fut d’une douceur et d’une fraîcheur qui nous parurent
extraordinaires. Chaque gorgée de bière avait la saveur d’un miel glacé.
J’écris à deux heures du matin, après quatre
heures d’un demi-sommeil remué par les conversations des balayeurs à quelques
mètres, par le vrombissement ininterrompu des escalators, par le fond sonore de
musique. Malgré l’épuisement, malgré la peur, cette nuit dans un aéroport a quelque chose de passionnant. Julien me disait avec justesse que les aéroports forment un
« pays », une nation sans fin constituée de tous les aéroports du
monde, tous identiques, tous ne formant qu’un seul aéroport aux détails
variables, comme ces « cartes » aléatoirement programmées de certains
jeux vidéos, toujours nouvelles mais toujours ressemblantes, car constituées
des mêmes éléments. Ici, comme ailleurs, les mêmes écrans de news, les mêmes distributeurs, les mêmes
Starbucks. Partout, s’insinuant dans chaque coin ripoliné du terminal, des dormeurs
sur des canapés et sur des lits de camp, affalés sur leurs amis et sur leurs
conjoints. Les nettoyeurs, restaurateurs, stewards et hôtesses s'occupent à des tâches mystérieuses, dont la nature et la fonction m’échappent
complètement — et peut-être leur échappent-elles à eux aussi, comme ces rites religieux qu'on n'a pas besoin de comprendre pour répéter. Tous ces hommes allongés ou affairés habitent, en
immigrés clandestins, ce pays inhospitalier et sans citoyens.
1er
mars 2015 – Descente et nuages
La descente en avion, à la fin du trajet, s’est faite au milieu d’un champs de « petits » nuages
blancs, au milieu d’une ville dont les immeubles sont de
grandes tours cotonneuses et traversées des reflets d’or du soleil. J’étais
stupéfait, ravi, de nous voir raser ces géants blancs, avant de les
traverser comme des tunnels de lumière qui faisait trembler tout l’appareil, puis d’en sortir, nous rejetant, piégés dans d’immenses canyons nébuleux et dans l’aveuglement du
soleil.
Demi-état
Me revoilà dans un état parcellaire, celui des voyages en
bus ou en train. Celui où l’on n’a ni la force de lire, ni celle d’écrire, ni celle de dormir, celui d'où l’on regarde, comateux, des paysages identiques se répéter, où l’on a toujours un peu faim, un peu soif, un peu chaud,
pas mal sommeil. Avec le décalage et les nuits inconfortables, les moments
d’agitation extrême succédant aux heures d’oisiveté forcenée, on a perdu tout
rythme intérieur, toute idée de l’organisation des pensées et de l’esprit. L'on dérive dans un état pas tout à fait conscient, état d’attente pas inconfortable d'ailleurs, le long duquel s'effiloche le sentiment de causalité et de succession
des moments ; et c’est dans ces moments de pur trajet, qui
sont ceux où l’on se déplace le plus, que j’ai le sentiment le plus vif de sur-placer, et que la flèche du temps se tord sur elle-même.
Plus le trajet est linéaire, plus je le trouve circulaire.
Miettes de février 2015
Miettes de février 2015