A chaque crise de ma vie, discussion lourde, engueulade,
séparation, je me rends compte que la moitié au moins de mon esprit ne suit
pas, n'est pas dans la crise, parce qu'elle s'intéresse à des détails
minuscules, qui m'hypnotisent : le plié d'un tapis, les motifs géométriques
d'un papier peint, les détails d'un bordel sur une table, les drapés d'un
rideau, le jeu de mes doigts sur un tissu, un détail pratique sur lequel il
faudrait agir.
Et c'est comme si les détails grossissaient, dépassaient en
importance la crise qui fait rage et devrait m’emporter, et je suis parfois au
bord d’interrompre la discussion pour en parler, et par exemple d'interrompre
des pleurs sur une rupture en cours par une réflexion sur une ampoule qu'il
faudrait remplacer.
Avant-hier, chez L, malgré l’orage de nos mots, alors
même que je lui donnais les raisons pour lesquelles je n'allais plus remettre
les pieds dans cet appartement où nous nous étions aimés pendant un an, j'étais à deux doigts de lui dire que sa Box
devait être rebootée : elle affichait un message d'erreur qui m'obsédait. Ça
me paraissait d’une importance capitale.
J'ai longtemps cru que cette posture naissait d'un
désintérêt, voire d'un ennui, pour la discussion en cours - et je culpabilisais
de cette attitude, dont je pense aujourd'hui qu'elle est moins une indifférence
qu'une fuite, un moyen d'être brûlé un peu moins fort, par l'incendie continuel
de ma vie.
Il paraît que les victimes d’agressions, de viols, se
focalisent parfois sur de tels détails pour ne pas exploser.
Miettes retrouvées, du 13 décembre 2014 (d'où le "joyeux anniversaire à moi" écrit en marge)