J’ai encore raté l’été

C’est déjà la fin août. L’été va se coucher. Me voici bientôt orphelin de cette saison suffocante, de cette époque de citron, de sueur et de balades sans buts. Cet été j’ai tourné un film, une comédie estivale justement, et je l’ai préparé, et m’en suis reposé, et j’en ai manqué l’été. Quand le film s’est terminé et que je suis rentré en ville, j’avais encore trop de travail pour prendre le temps de savourer la saison cuite. Et pourtant, à quelques moments, j’ai pu goûter une petite part d’été : le poids délicieux de la canicule en traversant Lyon sur le retour, et trois idiots cigarillos fumés à l’ombre étouffée des arbres du parc Elizabeth, le lendemain de mon arrivée à Bruxelles.

Cet été j’ai fait des rêves de tournage, j'ai fait des plans de travail, j'ai réfléchi et j'ai peu dormi. J'ai ri et rie et ri encore. Je me suis engueulé avec toutes les femmes que j’ai fréquentées. Mais je ne suis pas parti en vacances. Je n’ai pas fait l’amour, dégoulinant de la pluie du corps surchauffé. Je n'ai pas attendu d'en avoir envie pour me lever trop tard, et me sentir toute la journée lesté de mon trop-plein de sommeil. J’ai stressé et stressé et ce stress est l’antipode de l’enfance — et l’antipode de l'été. Enfance et été se tiennenet la main. 

Chaque septembre me ramène l’impression, plus pointue à chaque fois, d’avoir raté l’été. De chaque année plus s’en détourner, trop occupé pour ces bêtises. Vieillir : voguer de plus en plus loin de ce que représente l’été. Promesse de chaque automne : l’été prochain, il faudra partir et se perdre. Prévoir l’imprévu, foncer dans le soleil. Se le promettre chaque septembre, pour l’oublier et s’en ressouvenir trop tard.

Pourtant, il suffit d'un moment, il suffit de sortir pour cramer, et enfin se volatiliser dans le juin, le juillet et l’août. Pour s’évaporer dans l’air bouilli du jour. Et la nuit mieux encore, sortir comme on plongerait dans un miel porté à la juste température du corps, le dehors comme un dedans, la nuit couette dans laquelle on se roule, la nuit grand drap frais, la nuit de flanelle onctueuse. La nuit qu’on embrasse et qu’on étreint, d'où qu’on soit, où qu’on soit. En été il suffit d’ouvrir porte ou fenêtre, pour embrasser la nuit et lui faire des amours. Juste sortir, sans manteau et sans sac, sans valise et sans sac à dos, sans argent même, et sans clé peut-être, pour ainsi dire nu, sortir pour se sentir plus-que-dehors. Loin, au-delà. En vacances. Vacant. Creux. Tout ouvert à la remplissure du monde. 

Miette retrouvée du 26 août 2020