Quelle journée. A force de tristesse, de déprime,
d’angoisse, la nervosité est montée jusqu’à la colère. Et me voilà, à 22h38, furieux.
Il y a bien sûr les attentats de ce matin, les bombes
de ce matin, qui ont touché Bruxelles, son aéroport, son métro. Il y aurait pu
n’avoir que ça pour m'infurier. J’ai été éveillé, tiré du sommeil, arraché des rêves par les
hurlements des ambulances, si rapprochés et si alarmés : par les
sons qui m’informaient que la mort et la blessure se tenaient là sous mes fenêtres [note : j'habitais alors en face de l'hôpital]. J’ai sauté sur mon
téléphone pour vérifier, mais je savais déjà. Brumes du sommeil écartées sur un
soleil brûlant, douloureux. Et tous ces messages de réassurance qu’il fallait
envoyer avant même de pouvoir savoir, de pouvoir savoir ce qu'il s'était véritablement passé. Rassurer
d’abord, vite.
Toute la journée, dans le flou : pas triste, pas
malheureux, rien. Pas là. Mais ça montait, le sens se formait, et en attendant : incapacité de gribouiller des histoires, de trouver des idées. De faire mon métier. Colère de ça, de
ne plus pouvoir écrire, colère que la brutalité, que l’horreur terroriste renvoie à
néant la petite chose idiote et absurde, qu’est l’art, c’est-à-dire en fait la
petite chose insensée qu’est ma vie, qu’est la vie de chacun en dernière
instance. Comment raconter des histoires pour enfants, comment écrire des
comédies, comme je voulais le faire ces jours-ci, quand autour de vous des gens sont réduits en purée, en débris, en
fumée, en vapeur ?
Colère, ensuite, d’être encore lapiné par K., qui
évite de me voir le soir, repousse, trouve de véritablement bonnes excuses (ce
soir le terrorisme, on la comprend). Mais je viens d’apprendre, en
écrivant ce mot, qu'au lieu de rester chez elle, elle s’était bourré la gueule chez une amie… Je me
suis promené, seul dans cette soirée soudain immense et vide comme un hangar. Que pouvais-je faire d'autre ? Je suis passé sous les fenêtres de K. Lui ai écrit. Ai
failli la voir. Anguille, elle ne répondait plus ; mon
cœur avait grossi pour rien, et restait maintenant comme un corps d’ancien
obèse, raplapla, inutile, une outre vide et repliée sur elle-même.
Peu après j’ai vu le mail de mon amie Z, qui me disait ne
pas vouloir venir au Portugal où je l’avais invitée, [pour des motifs de merde]. Et
moi qui l’aime tant, qui m’emmerde à organiser ce voyage depuis des semaines,
qui organise par amitié des voyages d’amis, quand toujours me tenaille
l’attraction de la solitude, je dois subir ça, me le prendre dans la
gueule ?
Je me sens si seul dans ce Bruxelles si vide, ce soir.
Seul car éloigné de moi, esseulé de moi-même, ce moi que les terroristes, Kim,
P. et Z. ont éparpillé, emporté avec eux et dans toutes les directions,
ne me laissant que le cadavre de ma solitude.