J’ai appris tout à
l’heure que Belfort ne voulait pas de Eclatés, mon dernier documentaire. C’était le dernier bon festival qui l’avait rejeté. Mon dernier projet, trois ans de travail, pour
rien, pour une jolie projection à Aurillac, mais sinon rien – aucune
subvention, aucune série de projection, très peu de spectateurs, nous n’avions fait que perdre notre temps, toute
l’équipe, Triptyque Films et moi. Tant d’énergie, un résultat qui me plaît et qui je crois plaît, et...
rien.
Quand de ces mauvaises
nouvelles me frappent, échec de subvention, festival échoué, lettres
d’éditeurs, refus divers, pendant une ou plusieurs journées je ressens cette envie de tout arrêter. De dire merde à l’art, de reconnaître que
je ne vaux pas le coup, que je n’ai pas le niveau, que je ne comprends pas
comment et quoi faire. Cette tentation, je le sais, est insidieusement facile.
Se ranger, ne plus se promettre de grand destin. Cela serait agréable, si doux !
Ne plus croire qu’on tarde, qu’il est trop tard, qu’on va rater sa vie, parce
qu’il n’y aurait plus rien à rater. Se dire qu'on a déjà raté. Se réinsérer quelque part, suivre un patron, des
commanditaires, oublier... Ne plus faire l’effort de la pensée, l’arrachement
de l’art, des énergies jetées tout seul dans sa chambre. Se passer de ces espoirs construits comme
des ponts jetés sur du vide : sur son propre vide, pour le combler et l’explorer
à la fois, et qui la plupart du temps retombent dans le vide au lieu de tomber
dans la vie. Ce serait si doux ! Une vie de travail simple, de jeux vidéos, de
voyages et de femmes. Une vie sans l’angoisse du film d’après, de la page
d’après, du «cela se fera-t-il ? Arriverai-je à savoir ce que je
veux, et suite à le réal-iser ? »
Alors, dans ces moments
de doute radical, la vision des œuvres douces me fait du bien : un beau livre, une comédie élégante (ce soir, c’était Blake Edwards), me redonnent foi en tout
ça, me rappellent ce que je suis venu chercher, faire, construire, et que
rien d’autre ne pourrait m’apporter, en tout cas pas à long terme.
Je me sens comme ces
prêtres doutant de leur foi, ne sachant s’ils sont dans l’erreur ou dans le bon chemin, qui errent dans le désert de la quête intime. Un cardinal m’avait
un soir dit que le doute, c’était ce qui constituait le véritable croyant. J'ai toujours trouvé ça beau et un peu trop catholique : douter, c'est souffrir, donc le meilleur croyant est celui qui souffre le plus, sans laisser tomber. Peut-être est-ce plutôt la définition du croyant têtu, idiot.