Hier soir nous sommes montés en haut d’une
des pyramides de Tintal. Elle faisait une vingtaine de mètres de haut et
disposait d’un genre d’escaliers de terre pour la gravir mais, hormis ceux-ci, elle
ne différait pas des autres : toutes sont recouvertes d’une épaisse couche
de terre, de plantes et d’arbres, qui masque absolument leur nature : ce sont des
constructions humaines secrètes. C’était comme si nous gravissions une colline
naturelle, à la pente ardue et à la symétrie légèrement suspecte, et ce n’est
qu’au sommet qu’on pouvait s’émouvoir que les trois ou quatre autres collines
boisées qui nous entouraient fussent si régulièrement alignées, si étrangement
hautes au milieu de cette plaine si résolument plate.
Plus encore que les ruines d’Egypte ou
d’Angkor, qui nous parviennent depuis tous ces siècles avec autant de
fraîcheur, ces ruines mayas parlent de la vanité de toute entreprise
humaine : car les premières me semblent encore triompher, malgré tout, du
temps, dire : « regarde jusqu’où nous sommes arrivés, regarde ce que
nous avons traversé », et attirent le regard moins sur ce qu’il leur
manque que ce qu’il en reste ; tandis que celles-ci ne me disent plus
rien, elles sont tout à fait mortes, enfouies, elles font comprendre qu’on eût
plus probablement pu les manquer que les retrouver, tant la nature les a, dans
sa toute-puissante indifférente, recouvertes, reconquises, regagnées, infectées
de sa terre, de ses plantes, transformées en collines plus hautes encore que
les temples, ces temples que leurs bâtisseurs avaient voulu construire plus
hauts que tout — comme si la nature avait voulu punir la prétention des hommes
à la surpasser. Car oui, dominer la nature est possible, facile même, au cours
de ce qui aux yeux de cet adversaire paraîtra toujours un instant, cet
adversaire qui toujours, à tâtons mais calmement, vaincra. Ces ruines ne font
signe que vers leur propre disparition, leur propre effacement dans le giron
obscur d’une forêt ; elles figurent la disparition inéluctable de toute entreprise
au regard du silence de l’univers.
Les gars d’ici, nos guides, nos cuisiniers,
les garde-forestiers, descendent tous en partie de ces mayas, dont l’ambition
excessive fut foudroyée par le temps, puis par les Espagnols. Ce sont les
héritiers de cette terre où la nature a gagné, et ils semblent l’avoir retenue,
cette leçon : abattus, calmes, ils s’en foutent des ruines. Ils sont investis
dans leur vie, mais là encore juste un peu, riant et parlant avec mesure mais
sans jamais aucune gravité, ni orgueil, ni ambition. Ils laissent ça à nous,
les futurs vaincus.
Miette du 4 mars 2015
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