L'Oubli
J’ai
l’impression qu’un artiste doit avoir une mauvaise mémoire. Il doit rendre
imparfaitement les choses et les émotions.
Qu’importe
que le peintre puisse refaire parfaitement le Titien, le Vinci ? Son
souvenir du Titien a plus d’importance, un souvenir de ce qui dedans (ou
dehors) l’a touché : couleur, détail, composition, sujet.
Celui qui se
souvient trop et trop bien, soit copie trop parfaitement, soit veut tellement
éviter la copie qu’il ne peut plus rien faire d’intuitif. Il se souvient trop cruellement
que tout a déjà été fait, refait, défait, repris. Le véritable artiste est
toujours un peu amnésique. Il a même oublié, dans le meilleur des cas, qu’il
est artiste ; et ne songe qu’à s’amuser ou à raconter, à utiliser ses talents.
Je ne dis pas
qu’il ne doit pas apprendre, surtout pas. Il doit ô combien regarder comment
sont faites les œuvres, les scruter même, les analyser aussi, pour ensuite tout
oublier. C’est le plus important. Seulement ainsi, son apprentissage portera les
fruits croquants, ceux qui poussent dans le contact de ce ferment qui n’est pas
lui, avec le terreau qui est lui-même. L’artiste doit oublier la mode, oublier
les goûts du public, les critiques autant que les éloges, il doit oublier ses
échecs autant que ses succès (sinon comment avancer ?).
Il doit
oublier ses amis, ses amants et ses amours, son pays et ses devoirs. Ce n’est
que dans ce grand silence de la mémoire qu’il se souviendra de lui-même, au son
bizarre et à vrai dire toujours surprenant de sa voix intérieure. Dans sa
mémoire tronquée, dans l’inconscient, tout sera absent et en même temps là. Comme
une fermentation pratique, comme une moisissure utile.
J’avance si lentement
J’avance si
lentement ! Les journées filent sans que je comprenne où m’y accrocher.
Aujourd’hui j’ai lancé un export, j’ai regardé des courts de Cavalier, j’ai
envoyé mon projet de court métrage à deux producteurs (deux !), et ? Et c’est tout
je crois, ça m’a rempli la journée, avec de menues courses, la préparation du
déjeuner, qui ont englouti le reste irrémédiablement, et c’est déjà l’heure
d’aller voir le film de Baumard, puis de dîner chez Lefèvre, et rien ne sera
vraiment arrivé, la journée sera achevée, sans écriture, sans rien. Et demain ?
Le week-end plein de Ju (déjà), d’Anne (dîner, nuit, déj), de Pierre, et voilà,
vendredi 16h30 je sais déjà que 3 jours de cette semaine seront avalés, et que cela continuera ainsi pendant longtemps, pendant toujours. Que l’œuvre ne se
sera façonnée qu’à coups de petites pierres minuscules, débiles, mal enchâssées parce que trop éloignées, arrachées avec paresse à l’énorme granit
du temps. Est-ce la seule chose à faire, se résigner à l’éparpillement et au
pas-grand-chose ? A la dispersion ?
Miettes retrouvées, de l'automne 2014
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