17 mai 2015 - D'un parfum


Il y a quelques jours, en arrivant dans la salle de C. où nous répétions, j'ai été traversé par une odeur particulière, que je ne compris pas d'abord. C'était une odeur incommodante, un peu à rebrousse-poils, et dont l'âcreté cachait, comme le double fond élégant d'un sac vulgaire, des impressions de douceur et de sensualité que j'avais du mal à assigner. C'était au début uniquement des souvenirs d'odeurs. Mais d'odeurs de quoi ? J'avais du mal à mener l'espèce d'enquête intérieure qui me mènerait à leur provenance. Le metteur en scène traçait des choses capitales. Il fallait suivre. 
Je finis par reconnaître, dans ces petites bouffées intermittentes, le parfum que mettait F, et dont il  y a quelques temps encore je me gavais les narines pour la dernière fois. Il me fallut encore quelques minutes pour retracer dans la pièce d'où venait cette senteur poivrée. Je crus d'abord que cela provenait de S — hypothèse étrange pour un parfum féminin. Mais c'est de la nuque d'O qu'elle s'exhalait. Ironie difficile à croire, c'était cette femme-ci, qui m'attire tant, qui portait le parfum de celle-là qui me manque autant.

O. remarqua que je reniflai derrière elle. Dans la ferveur presque alcoolique de son parfum, je n'ai pu me retenir de lui avouer qu'il me rappelait une belle femme. Comprit-elle pour autant que c'était pour cela que je profitai d'une petite pause pour m'asseoir tout près d'elle ? Pendant toute la réunion qui suivit, j'aspirai aussi discrètement que je pus de grosses goulées de ce parfum, qui n'était plus une odeur, mais la matière même de la peau de F, du corps élancé de F et de ses grandes mains serpentines. Je finis par m'éloigner d'O, du plus loin que je pouvais. La douceur de mes souvenirs s'était changée en une gênante excitation, puis en frustration, puis en douleur. O, pourtant si proche, avait disparu, remplacée par l'autre. Le parfum d'une absente sur la peau d'une présente avait suffi à la volatiliser, comme si cette fragrance avait eu la propriété secrète de rendre invisible, ou plutôt de donner à celle qui s'en enduisait l'apparence fantomatique d'une autre.

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