15 juin 2015 - Phrases sans fin


Pourquoi mes phrases s’allongent-elles tant ? Pourquoi ai-je toujours échoué à produire naturellement de ces phrases courtes, des ces concepts compacts que tout le monde préfère lire ? Psychologiquement, je crois qu’il y a une passion du détail qui s’installe – du mot juste, de l’idée cadrée – c’est comme si j’étais terrifié à l’idée qu’on me comprenne mal ou de travers, au point de décrire, d’ajouter, de spécifier à coups d’adjectifs, de subordonnées, d’incises, de métaphores, de comparaisons, de rapprochements. Pour moi l’écriture n’a d’intérêt qu’à partir du moment où un ajout vient développer, préciser ou transformer l’idée ; où une métaphore tend un câble entre des mondes jusque-là isolés ; à partir du moment où les mots, comme des coups de ciseaux, sculptent le sens pour en faire surgir l’originale figure — comme ces tailles de masques africains que j’avais vus avec A. au musée Branly.
Je me rendais compte en écrivant ce matin que la phrase est pour moi la nécessité d’une tension, comme la mélodie en musique qui nous accroche tant qu’elle n’est pas résolue, et ce même à travers tout type de variations. Je ne peux pas écrire par petites phrases, car je ne sens pas, à l’oral comme à l’écrit, la tension qui fait passer de l’une à l’autre. Je sais que cette tension est épuisante à force, pour le lecteur : quiconque lit Proust  est heureux lorsque les phrases se raccourcissent soudain, ou épuisé lorsque des incises nous tiennent en haleine, pendant plusieurs lignes, d’une proposition principale qui reste irrésolue, d’un verbe ou d’un complément trop éloigné de son sujet. Mais lorsqu’on traverse cet épuisement, c’est une pente qui nous entraîne, de mot en mot comme un travelling sans fin de la pensée.

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