25 juin 2015 - Avant un rendez-vous


J'ai déjà écrit ici à quel point un "date", même à l'issue certaine, pouvait être angoissant. Mais avec la multiplication de ce genre de rendez-vous cette année, les inquiétudes morales ont fini par s'affaiblir sans que les tourments physiques n'aient perdu aucunement de leur puissance.

Je suis en marche vers le rendez-vous. Qu'il pleuve ou que le soleil luise, me voilà essoufflé et transpirant au moindre effort ; mes mains sont agitées, presque tremblantes ; ma voix n'est plus qu'un souffle chevrotant, qui peut s'effondrer en murmure ou décrocher dans les aigus ; à m'apercevoir dans les reflets des vitres des voitures ou dans les baies des magasins, je remarque la catastrophe de ma coiffure ; je sens dans ma bouche un goût désagréable, sec, celui de la nourriture ou du café macérés ; quant à mes lèvres, desquelles je rêverais de me servir pour donner un baiser, elles sont devenues desséchées. Et je crois qu'il s'agit moins d'une somatisation de mon inquiétude, que d'une attention nouvelle, infaillible, à l'état de mon corps - similaire à celle des hypochondriaques - qui me fait relever tous les défauts que le reste du temps (pour continuer à vivre légèrement ou parce qu'ils n'ont aucune importance) je ne remarque pas.
Au moment d'écrire ce message, deux jours après le rendez-vous avec E. qui m'avait fait penser à ça, je retrouve petit à petit ce goût bizarre, je sens quelques gouttes de transpiration sur ma nuque et mon front, parce que pour l'écrire je me suis replongé dans cet état d'attention au corps qui était le mien avant-hier. C'est comme quand, avant l'amour,  un homme qui a des problèmes d'impuissance se pose des questions sur la vigueur de son sexe, et que ce questionnement même lui donne soudain l'impression de le sentir mou, petit, ridicule, inapte au sexe. Je ne peux vraiment séduire (c'est-à-dire avoir confiance) qu'en relâchant cette attention.
Et c'est pourquoi dans les fêtes, un peu ivre ou surpris par la rencontre d'une inconnue, je ne prête jamais la moindre attention à ma sueur, au tremblement de mes mains, à mes odeurs (lesquelles doivent pourtant être bien pires) ou à la tenue de mes cheveux (qui d'après les photos qui me parviennent de ces soirées, sont systématiquement à l'image d'un champ de bataille de la Grande Guerre). Mais en soirée on n'attend pas : les gens sont là, on les regarde, et il est déjà tellement prenant de leur parler, de les regarder, qu'on ne pense plus vraiment à l’image qu’on renvoie — hormis lors de ces sorties de scène, de ces retours en loge que sont les passages aux toilettes. L'éclair qu'on a alors de nous-mêmes nous pousserait parfois à rester cloîtré là, comme dans un bunker, jusqu'à ce que la soirée meure.

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