Une grosse crève me donne le temps, l’ennui, de me
poser après les quelques jours passés, qui ont vu défiler un grand nombre de
gens, surtout des femmes, devant mes yeux. Il faut les
saisir, non comme on compte un cheptel (horreur !) mais comme on fait
rouler un chapelet : pour se souvenir, pour rendre hommage, pour qu’ici au
moins viennent s’accrocher quelques traces de ces personnes, quelques souvenirs
qui ne seraient sinon qu’embruns, mousse d’eau vite absorbée dans l’océan de
ma mémoire.
Alors : portraitisons, notons, avant que cela ne
meure.
X. : l’amie de C ne possède
pas de prime abord cette brillante répartie qui, quand j’avais rencontré C. en novembre dernier, m’avait ensorcelé. X me fait pourtant penser à un coup de feu. Notre première rencontre aura été
éclatante : chez C elle s’est emparée de moi, de ma
conversation, de mon être. Devant les autres invités qui n'avaient de choix que d'écouter son interrogatoire, elle voulait tout savoir, tout lire, tout
comprendre, de ma vie – avec précipitation, avec impudeur. Ce que j’ai d'abord pris, à tort, pour de la drague, je sais, maintenant que je la connais mieux, que ce
devait être un mélange de séduction réelle, de l’intérêt d’une âme pour une
autre, mais aussi de sa passion essentielle pour les êtres.
Cette passion la constitue ; passion pour le
bien, pour le bon dans l’humain, pétrie d’humanisme et d’existentialisme sartrien. Il est difficile de savoir si cet amour vient de sa formation d’avocate, ou si plutôt c’est celui-ci qui l’a poussée vers
la loi - peut-être le seul métier où il s'agit de frotter ce pari que l'humain est bon, au feu de ses actions réelles.
Je crois que X se jette dans le feu du mal pour
vérifier qu'au creux de la fournaise survit toujours, comme un métal
précieux, quelque indestructible pépite humaine. sa bonté, son
irréductible puissance d’amour. Cette quête, on la voit à chaque instant se déplier
chez elle. Dans son regard fureteur, curieux, accueillant ; ces yeux
qui disent « viens, parle, je t’écoute, je ne te jugerai pas » ; cette bouche qui n’est qu’explications, pardons, gentillesses, propositions,
hypothèses : mains tendues. Et pourtant cette bouche ne dit jamais grand-chose
de X : elle dit des volontés, des faits, des croyances, mais peu
d’états d’âmes, peu de doutes, peu de peurs, peu de négatif. On passe des heures avec elle, on rentre chez soi, heureux d'avoir parlé de tout, et soudain on remarque que d'elle, de sa vie et de ses espoirs, on ne sait rien de plus qu'avant. Il y a aussi, chez X, son
corps qui se jette par-devers les autres, qui rejoint les faibles, les idiots,
les fous, autant pour leur proposer de l’aide (comme cette fille qui dans la
rue semblait perdue et malheureuse mais qui n’avait que froid aux mains), que pour recueillir le précipité de leur étrangeté, le substrat de
leur folie. Et en rire, mais toujours avec eux, dans les bras de leur
fantaisie.
Dans cette quête d'humanité, qui m’est si chère,
je sens une inquiétude. On ne recherche pas quelque chose dont on est déjà sûr.
Je sens l’odeur, masquée, d’un doute, d’un précipice, peut-être d'une peur que les humains, et peut-être elle-même, n'aient pas cette bonté dont elle est certaine. Cela, alors, expliquerait son silence sur elle-même. Elle m'a dit, si rapidement que cela m’a cloué, que j'avais un
besoin d’amour gigantesque, jamais éteint. Et c'est vrai. Mais elle, n’a-t-elle pas ce même
besoin ? N'a-t-elle pas si bien su me cerner, justement parce qu'elle a ce même creux ? Ou bien, recherche-t-elle avec passion la proximité des gens qui ont si fort ce besoin d’être
aimés - c’est-à-dire les artistes et les fous ?
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