24 mai 2016 - Les enfants

Un enfant, est-ce bien sérieux ? Pourtant regardons-le. Si on s’approche, on le voit vivre avec puissance des histoires d’amour platoniques, on le voit jouer sans rire, rire sans jouer, toujours avec intensité, risquant tout, donnant tout. Les gosses croient à tout, ont peur, tremblent, vivent pleinement ce que nous regardons passer mollement. Un brin d’herbe, une fourmi, un coin de nuage : des heures de fascination. Ils ne se demandent pas si c’est fascinant, ils ne font pas, comme nous, des efforts pour regarder les petites ou les grandes choses avec ébahissement. Les sensations et les sentiments qu’ils en tirent les terrassent. Seule l’adolescence leur apprendra (ou plutôt imposera) la distance avec la vie, le jeu au sens mécanique - ce qui « joue » dans un mécanisme, la distance entre être collé aux choses et être décollé d’elles. L'âge adulte leur donnera la nostalgie de cette collure. Mais en attendant l’adolescence, même quand l'enfant sourit, même quand il rit, c’est avec tout le grand sérieux du monde. Il y a des enfants que vous emmenez à Disneyland et qui ne souriront pas de la journée, on en conclut qu'ils s'ennuient. Au moment de partir, ils pleurent pourtant et, rentrés à la maison, lancent d’une petite voix, presque une voix de reproche, que c'était la plus belle journée de leur courte vie.
C’est la pire erreur, je crois, que de penser les enfants comme de petites gens volatils. Ce n’est pas parce qu’ils changent d’avis sans arrêt, ce n’est pas parce qu'ils n'ont pas de suite dans les idées, qu'ils ne sont pas les hommes les plus sérieux du monde. Aucune maturité ne s’acquiert, je crois, sans un moment où l’on reprend contact avec l’enfant qu’on a été. Il faut d'abord le retrouver, cela peut prendre des années. Puis s’excuser de l’avoir abandonné, puis le pardonner pour ce qu'il est et nous fera faire. La maturité serait ce moment de retour de l’adolescent, du jeune homme, vers le premier degré dont il a pris honte. Retrouver, non pas le sérieux plombé, mais notre contact sérieux avec le monde. Reprendre une attitude sensationnelle, de la sensation et pas du sens. Retrouver un rapport insensé à l'univers.

Les enfants sont philosophes : ils veulent tout savoir et en même temps tout casser. Les voilà qui posent ces fameuses questions qui mettent tous les adultes à terre. Non qu’ils aient déjà tout compris et jouent avec nous, comme Socrate : c’est juste que les enfants savent, eux aussi, qu’ils ne savent rien. Que tout reste toujours à apprendre.

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