Pas assez dormi parce que nerveux, nerveux parce que
l’alcool, samedi avec Julien, m’avait « rincé », d’une rinçure non-aqueuse,
qui laisse d’énormes traces de mélancolie quand elle sèche.
La série de Lars Von Trier (Riget), les messages Tinder,
les échanges avec S., le jeu Sim City sur mon GSM, le (beau) livre La Horde du Contrevent, m’ont tenu jusqu’à tard, alors que j’étais
épuisé, que je voulais, qu’il me fallait dormir. Je le savais, je sentais que
je ne faisais que repousser du pied, comme une chaussette puante traînant à
terre, une angoisse, une tristesse, qu’il me faudrait bien pourtant finir par ramasser, me prendre en face dès que
j’aurais accepté d’éteindre la lumière. Ce refus que j’avais, me mit dans un
état de tension épouvantable, qui provoqua, plus encore que l’angoisse, mon
insomnie.
Je n’eus pas la tristesse, car je m’étais rendu trop
nerveux pour la sentir. Et, comme toujours, le lendemain, la détente provoquée
par l’absence de sommeil, la fragilité provoquée par l’insuffisance de ma nuit,
ainsi que, comme une cerise sur la soupe au lait, le couvercle gris de la météo
bruxelloise, ont permis à la tristesse de m’envahir comme un territoire tout
prêt à la recevoir, sans défense, presque avec gratitude.
J’ai dit une fois, à Anne, que je connaissais mal la
tristesse, et c’était tout de même assez faux. Le désespoir absolu, la
tristesse qui fait haïr la vie, je ne les connais pas vraiment ; ce que je
connais, c’est un genre de spleen acide qui m’envahit quand je le laisse être
là, une tristesse oisive, molle (je serais bien incapable de pleurer), assez
gluante, car elle me colle longtemps à la tête. Comme un poids, continu, ferme,
sur la tête, les sinus, la bouche : je sens que cela déforme mon visage,
fait pendre la bouche, agrandit les yeux vers le bas. Je me figure avoir la
tête d’un Droopy pas drôle.
J’ai écrit sur ces carnets, ailleurs, que toute vraie joie est cousue en son
envers d’une tristesse qui en compose le fonds et l’avenir. Cette tristesse que
je ressens est un vêtement dont la doublure est faite d’une joie chaleureuse,
d’un sourire véritable quoiqu'amer. Joie ironique, douce-acide mais
vraiment là, ballon d'hélium qui empêche que cette peine me pèse trop : joie souple qui
dure, dure, plus que les vraies joies, petite chaleur qui gigote dans les
poumons. De ces opposés qui tirent dans tous les sens, se dégage un
chaud-froid, moins une fièvre qu’un frisson, une chair-de-poule que je chéris.
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