La fête de l'ACID - Cannes, Mai 2013

Je n’avais pas très envie d’y aller, à cette fête. A l’entrée, R. et V. me préviennent : « il n’y a plus que du jus de banane et du vin rouge ». Je goûte peu le vin rouge de ce genre de soirées, et après deux heures de film indien, dans le froid nocturne, en plein milieu de ce combat sans espoir entre la fatigue et moi, avec le stress de devoir rameuter K. et A., partis à une autre soirée, et moi et Ar. et An., qui ont insisté pour cette soirée, le jus de banane je le vomis déjà.
La soirée semble ratée. Il y a trop de monde. Je croise M. : dans son état naturel elle est déjà abrutie, mais ce soir elle semble avoir fumé trois joints coup sur coup. Elle semble me reconnaître comme à travers une vitre dépolie, et il est évident que depuis son univers alenti le monde, et moi y compris, doit se mouvoir avec trop de vivacité. Je devrais dire « tant mieux », mais elle me touche, cette fille, au-delà des vannes dont je recouvre son absence lorsque je suis avec d'autres. D’être snobé, boudé, à peine reconnu, ne fait qu’accroître ma solitude.
Je ne sais plus où est A, je la fuis et la recherche. Elle me regarde tellement que je cherche à la voir sans être vu. Je cherche à la regarder enfin, à trouver ce point de vue de mateur, de séducteur, que je n’ai jamais vraiment eu, ou quelques minutes seulement à notre rencontre, et qui a depuis été annihilé par le sien, par sa posture de carnassière. Je veux passer de proie à prédateur, la séduire enfin, activement. C’est trop tard : son regard est déjà vaincu, elle rit à toutes mes plaisanteries, et trop tôt. L'enjeu est sur un autre terrain, sexuel. C’est elle qui contrôle tout, depuis que le premier soir elle a surpassé cette crainte que je ne revienne pas, que je regrette. 
Je ne l’ai d’abord pas trouvée, puis elle était serviable, voulait toujours aller me chercher du Champagne, des verres de vin, des invitations pour faire entrer K et As. Ça me donne envie de partir. Mais à l'arrivée de K., le miracle se forme petit à petit. Je connais tous ceux qui m’entourent – tous critiques, cinéphiles, jeunes cinéastes à peine endimanchés, ensemble comme à une soirée entre potes. La musique est célèbre, nous dansons dans le léger froid. Il fait trop frais pour ne pas danser, assez chaud pour n’être pas accablé de sueur. Il y a suffisamment de place pour constituer un cercle imparfait qui permet de voir d’un mouvement de tête tous ceux que j’aime, et ils y étaient presque tous ce soir-l). Petit paradis où se retrouvent des amis, des colocataires, des collègues, des connaissances, sans un mot, se regardant danser avec de petits sourires.

KG souriait, aux anges, Ar. aussi. Ma place était juste, j’étais bien, pas trop excité, conscient des autres, de moi, de la fraîcheur de l'air entre nous qui nous ramenait au ciel au-dessus, aux étoiles, qui nous connectait au reste du monde indolent. C’était l'un de ces rares moments où je me suis senti faire-partie, où j'ai eu le sentiment « d'habiter » le monde, comme disent certains philosophes. Une prise de conscience délicate et brutale à la fois, qui transforme le mouvement alentour en un ralenti de film. Ces gens autour de moi dans cette ronde somme toute calme, au-delà de laquelle je voyais d’autres (Vernay, Leblanc) que j’aimais aussi en les connaissant moins, semblaient l’image du monde entier autour de moi. Puis la musique s'arrêta.
En discutant plus tard avec un K. fin ivre, je vis que lui aussi avait ressenti cette vibration exceptionnelle, et qui n’a pas dû durer plus de 15 minutes. D'où vient ce plaisir qu'on a à comprendre qu'on n'était pas seul à ressentir ?

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